Une image extraite du film Vivarium, qui représente un lotissement aseptisé et infini.

La conception algorithmique : une réponse aux enjeux du ZAN ?

Mise en place en France dans le cadre de la loi Climat et Résilience de 2021, le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) est une politique environnementale visant à limiter l’artificialisation des sols pour préserver les terres agricoles, les espaces naturels et la biodiversité.

L’objectif ? Encourager une urbanisation plus raisonnée et ainsi lutter contre le changement climatique.

Modèle vertueux sur le papier, le ZAN pose plusieurs défis pour les communes, en particulier celles qui sont confrontées à des dynamiques de croissance urbaine. Avec de moins en moins de terrains disponibles pour des projets de construction, cela peut freiner le développement local, rendant ainsi plus difficile l’accueil de nouveaux habitants ou entreprises.

Théorie de l’offre et la demande oblige, le ZAN peut entrainer :

  • Une augmentation des prix du foncier et du logement,
  • Une perte de recettes fiscales pour les collectivités,
  • Une densification complexe des milieux urbains pour limiter l’étalement des villes
  • Et une reprise en main des friches industrielles.

La conception algorithmique permet de répondre à ces 2 derniers aspects : en gérant la complexité de conception apportée par les fonciers contraints, dents creuses et friches industrielles – tout en conciliant les enjeux architecturaux avec des contraintes environnementale strictes.

Optimiser les morphologies de bâtiment en site contraint

Les modèles 3D paramétriques permettent de simuler différentes configurations d’aménagement pour trouver les meilleures options de conception face à un panel de contraintes et d’objectifs.

Les algorithmes génèrent des solutions optimales en termes de densité et d’occupation des espaces, tout en maximisant les apports gratuits (ensoleillement, lumière naturelle, vues, récupération des eaux de pluie etc.) et en minimisant l’emprise au sol.

Les scénarios optimaux prennent en compte le contexte bâti, les accès viaires etc.

Par exemple, on pourra demander à un algorithme de générer un volume de bâtiment qui laisse passer à minima 50% des apports solaires hivernaux existant pour les bâtiments existants, tout en maximisant son propre ensoleillement et sa densité bâtie. 

En fonction du besoin, les modèles 3D optimisés peuvent aller d’un simple volume à une morphologie de bâtiment plus travaillée en respectant un cahier des charges complet.

Les volumes simplifiés pourront être pris en main par les architectes directement – là où les modèles les plus poussés pourront intégrer de nombreux paramètres tels que la partition des logements, des circulations verticales, l’emplacement des baies vitrées et des éléments de protection solaires adéquat en fonction des certifications environnementales du projet.

Génération d'une enveloppe solaire avec la conception générative et les vecteurs solaire, par datamorphoz

Rénover les bâtiments, réutiliser les friches

La conception algorithmique s’impose comme un atout de taille pour résoudre ces défis, car elle permet de maximiser l’efficacité des projets de réhabilitation tout en optimisant les performances environnementales et énergétiques des bâtiments.

Prenons l’exemple d’un bâtiment existant nécessitant une rénovation thermique. Grâce à des algorithmes paramétriques, il est possible de modéliser des façades en tenant compte de critères multiples comme l’orientation solaire, la ventilation naturelle, et la répartition des ouvertures.

En testant des centaines de combinaisons, les algorithmes génèrent une façade optimisée pour maximiser le confort thermique, réduire les besoins en énergie, tout en respectant les contraintes économique, architecturales et urbaines.

Graphique à coordonnées parallèles montrant plusieurs scénarios de facade et leur évaluation thermique
Extrait d’une étude thermique paramétrique permettant de comparer plusieurs scénarios de façade (forme et composition) – © In Situ Architecture & Datamorphoz

Bien que le sujet de la dépollution des sols soit crucial, nous nous concentrons ici sur la reconversion des friches via la conception algorithmique.

Ces espaces souvent dégradés peuvent être réhabilités en simulant des scénarios de reconversion qui prennent en compte la topographie, la présence de structures existantes, et l’impact environnemental des travaux. Les solutions générées permettent non seulement de réintégrer ces sites dans le tissu urbain, mais aussi de réduire l’empreinte carbone globale en limitant le recours à de nouveaux matériaux et en favorisant le réemploi.

Densifier la ville, intelligemment

La densification urbaine est souvent perçue comme une solution complexe, particulièrement dans des environnements déjà fortement urbanisés. Il est essentiel de densifier intelligemment afin d’éviter les erreurs de planification, comme celles observées dans certaines communes.

Par exemple, la commune de Biarritz a connu un morcellement excessif et désordonné de certaines parcelles, qui a provoqué une surdensification localisée, avec des infrastructures insuffisantes pour répondre aux besoins des nouveaux habitants. Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) a tenté de réglementer ces divisions, mais certaines décisions antérieures de morcellement ont conduit à des tensions sur la gestion des espaces publics et des réseaux d’accès.

L’arrivée du syndrome « NIMBY » (Not in my Backyard) ou « Pas dans mon jardin » est d’ailleurs révélateur de ces problématiques. Il désigne la réticence de certains riverains qui s’opposent à des projets pour conserver leur cadre de vie. En effet, promiscuité, bruits, ombres portées, problème d’accès ou de stationnement sont autant de nuisances apportées par une densification urbaine non contrôlée.

La conception algorithmique pourrait prévenir les problèmes liés à la division parcellaire, tels que ceux observés à Biarritz, en offrant une planification plus intelligente et systémique des densifications urbaines. Elle pourrait jouer un rôle clef sur les volets suivants :

Optimisation des configurations de division :

Grâce à des algorithmes paramétriques, il est possible de simuler et d’optimiser la répartition des parcelles en prenant en compte les contraintes locales telles que l’accès, la topographie, et les infrastructures existantes. Cela permet d’éviter des divisions désordonnées en maximisant l’utilisation de l’espace tout en maintenant des zones vertes et des infrastructures adéquates pour chaque parcelle.

Préservation des infrastructures et des espaces publics

Les algorithmes peuvent analyser les impacts de chaque division sur l’environnement urbain, y compris la capacité des réseaux de transport, des services publics et des espaces verts. Cela permettrait d’éviter des densifications anarchiques qui mènent à une surcharge des infrastructures.

Gestion de la densité et de l’intimité

En intégrant des critères comme la distance entre les habitations, l’orientation des bâtiments et la présence d’espaces verts, la conception algorithmique peut garantir que chaque projet de densification conserve une qualité de vie acceptable, notamment en préservant l’intimité et en évitant une promiscuité excessive.

Simulation de scénarios sur le long terme

Contrairement aux décisions ponctuelles qui mènent à des erreurs de planification, la conception algorithmique permet de tester différents scénarios d’aménagement sur plusieurs décennies, assurant ainsi que les divisions foncières respectent non seulement les besoins actuels mais aussi les évolutions futures des quartiers.

Autre cas d’usage, celui des surélévations. Ajouter des niveaux supplémentaires sur des bâtiments existants est une manière de densifier sans empiéter sur de nouveaux espaces. Grâce à la conception algorithmique, il est possible d’intégrer ces nouveaux volumes tout en optimisant leur interaction avec l’environnement (luminosité, ombrage, ventilation). Les algorithmes permettent également de maximiser l’efficacité énergétique des surélévations, en plaçant stratégiquement des ouvertures et des protections solaires pour garantir le confort des occupants.

De plus, les algorithmes peuvent identifier les secteurs urbains où la densification est la plus judicieuse en se basant sur des données contextuelles comme la proximité des transports en commun, les espaces verts, ou les services essentiels. Cela permet d’éviter une densification aveugle qui pourrait dénaturer les quartiers ou entraîner des problèmes d’infrastructure.

Par exemple, des outils comme UPFACTOR Géoservices® croisent les données d’un PLU existant ou projeté, du sol, de hauteur des bâtiments pour détecter en masse les potentiels de foncier aérien.

Réduction des coûts et des temps de conception

La conception algorithmique permet de générer automatiquement un grand nombre d’options de planification en fonction de paramètres définis.

Même si un temps de conception plus important en phase amont des projets est nécessaire, l’automatisation et l’optimisation induite par l’utilisation de ces processus permet de réduire considérablement les temps de conception en challengeant positivement les itérations entre architectes et BET lors des phases conceptuelles.

Connaître les scénarios d’implantation et leurs indicateurs associés très tôt dans le projet, c’est gagner l’assurance d’une estimation programmatique et financière au plus juste, ce qui permet de réduire les risques en phase amont.

Par exemple, la réalisation d’un ou 2 niveaux de parkings souterrains dans un projet de construction impacte sensiblement les coûts de réalisation (cuvelage, pas toujours possible selon PPRI etc.). La connaissance de cet indicateur dès le montage d’une opération immobilière par la génération automatisée des stationnements nécessaires est un avantage de taille dans la fiabilisation du projet.

De façon générale, faire primer la géométrie sur le ratio traditionnellement utilisé en étude de faisabilité permet d’améliorer drastiquement la précision des projets en phase amont et ainsi diminuer le risque.

“Data-driven design” : Conception basée sur les données

En conception algorithmique, on automatise souvent l’évaluation des différents scénarios de conception, soit en utilisant des indicateurs existants, soit en créant nos propres indicateurs – à condition qu’ils soient pertinents pour guider le choix de la proposition d’aménagement.

Par exemple, on peut évaluer des projets grâce à des indicateurs comme l’ensoleillement, la luminosité, le confort intérieur ou extérieur, etc., mais on peut aussi définir des indicateurs sur-mesure en fonction d’un contexte particulier.

C’est ce qu’a fait Efficacity dans le projet Xmuse en définissant un critère de confort basé sur la vue sur l’extérieur (note construite à partir de la décomposition d’une vue en niveaux de ciel, paysage et sol). Cet ensemble d’indicateurs permet de trier et sélectionner les solutions les plus adéquates et constitue un appui indispensable pour prendre des décisions raisonnées.

Les indicateurs peuvent être d’ordre programmatique, économique, issus de simulations environnementales, structurelles etc. ou encore de l’ordre de la sensibilité architecturale.

On pensera au concept d’ilot ouverts de la ZAC Paris Rives Gauche par Christian de Portzamparc qui prône l’acceptation d’une forme d’hétérogénéité grâce à une alternance de pleins, de vides, et de hauteurs qui contraste avec l’alignement de la ville classique.

Cette hétérogénéité est guidée par un ensemble de consignes inscrites dans le règlement de ZAC.

Dans ce cadre, les algorithmes auraient pu permettre de formaliser cet objectif d’hétérogénéité pour donner une note à chaque scénario selon le respect du critère.

Concertation & Visualisation

Couplé à des solutions de concertation comme Immersite® développé par Nobatek/Inef4, la conception paramétrique est un outil puissant permettant de faciliter le dialogue et l’acceptation de projets urbains par les citoyens/habitants. Les représentations visuelles de l’impact des projets ainsi que la vulgarisation des indicateurs techniques – i.e. l’ensoleillement avant/après – des différents scénarios de densification permettent une meilleure compréhension. Les acteurs de la concertation peuvent ainsi se voir proposer un panel de projets optimaux et participer à la prise de décision.


La conception algorithmique s’impose donc comme un levier incontournable pour répondre aux défis du ZAN (Zéro Artificialisation Nette). En intégrant des outils d’optimisation et de simulation, elle permet de mieux gérer la densification urbaine, de réhabiliter intelligemment les friches industrielles, et de réduire l’empreinte environnementale des projets. En réinventant notre approche de l’aménagement du territoire, cette méthodologie offre aux collectivités la possibilité de concilier développement durable et croissance urbaine. Elle constitue un puissant atout pour anticiper les contraintes futures, réduire les coûts et renforcer la résilience de nos villes face aux enjeux environnementaux.

Si la conception algorithmique permet de s’adapter à la complexité des fonciers contraints et des besoins locaux, elle ouvre aussi la voie à une urbanisation plus raisonnée et durable, en phase avec les objectifs de la loi Climat et Résilience.

En illustration, petit clin d’œil au film Vivarium et son lotissement aseptisé infini, métaphore du rêve pavillonnaire et par extension de l’étalement périurbain.

[“Vivarium », de Lorcan Finnegan (2020) (Copyright The Jokers Films)]